Cette recherche a été menée dans le but d'étudier l'occupation de Paris à travers une approche d'histoire urbaine ; elle s'articule autour de la question suivante : "Où vivaient les soldats allemands qui sont restés dans la ville pendant quatre ans ?". Jusqu'à présent, le sujet du logement des troupes d'occupation a été mentionné par quelques historiens, comme Henri Michel, mais sans véritable étude approfondie. L'ambition est donc de combler cette lacune et de comprendre dans quelle mesure l'installation de milliers de soldats [...]

Note de recherche par Giorgia Castellan

Cette recherche a été menée dans le but d’étudier l’occupation de Paris à travers une approche d’histoire urbaine ; elle s’articule autour de la question suivante : « Où vivaient les soldats allemands qui sont restés dans la ville pendant quatre ans ? ». Jusqu’à présent, le sujet du logement des troupes d’occupation a été mentionné par quelques historiens, comme Henri Michel, mais sans véritable étude approfondie. L’ambition est donc de combler cette lacune et de comprendre dans quelle mesure l’installation de milliers de soldats a affecté les différents rangs de l’administration française et la vie des citoyens parisiens. En effet, le sujet concerne non seulement les occupants, mais aussi les « occupés ». L’armistice avait décrété que “les frais d’entretien des troupes d’occupation allemande sur le territoire français seront à la charge du Gouvernement français”, qui a été obligé de réquisitionner des locaux en faveur des soldats. L’administration française n’était donc pas un spectateur passif : elle a dû gérer les différents ordres des autorités locales allemandes ; gérer les relations avec les citoyens, en leur fournissant des indemnités ; respecter les directives nationales du Délégué Général du Gouvernement français dans les territoires occupés.

A la préfecture de la Seine, la Direction des Affaires des Réquisitions et d’Occupation (DRO) était chargée de ces tâches. Les documents conservés dans les archives produites par ce bureau ont été indispensables pour suivre la chronologie de la lente structuration du cadre juridique dans lequel inscrire les réquisitions, notamment le règlement pour la présentation des demandes d’indemnisation et le calcul de leur montant. Malgré les efforts de la France, les autorités allemandes ont fait preuve de négligence dans plusieurs domaines : au lieu d’occuper des bâtiments publics ou des casernes, les Allemands ont préféré s’installer chez les particuliers ; au lieu de fournir des logements uniquement aux troupes de l’armée, ceux-ci ont également été proposés aux fonctionnaires et aux civils ; au lieu de suivre les formalités administratives, ils sont entrés dans les maisons et les ont abandonnées à leur gré.

Le décalage entre la norme et les pratiques est particulièrement évident grâce à l’examen d’une étude de cas : à travers les dossiers individuels, nous avons étudié en détail environ 140 réquisitions de logement à Neuilly-sur-Seine, faisant partie du même lotissement borné par les rues Ernest Deloison, le boulevard Richard Wallace, la rue Longchamp et le boulevard de la Seine. Le nombre limité de cas a permis d’analyser plusieurs questions et de prêter attention aux effets de la réquisition sur les locataires et sur l’unique propriétaire du complexe, la Caisse des Dépôts et Consignation. L’accent mis sur les locataires individuels et leur identité a conduit la recherche à croiser des études récentes sur l’histoire du logement des Juifs pendant l’occupation nazie. Rien ne prouve qu’il y ait une corrélation entre le choix des maisons à réquisitionner et l’identité religieuse des locataires, surtout en 1940 ; la discrimination réside dans le choix a posteriori des Allemands confirmé par le CGQJ, de les empêcher de recevoir une quelconque indemnité. De plus, on peut observer un cas très particulier, qui concernait toute la commune de Neuilly-sur-Seine pendant la première année d’occupation : le “logement de remplacement”. En bref, il s’agissait par un effet mécanique d’une réquisition allemande en faveur de civils français qui avaient été forcés de quitter leur maison suite à l’arrivée des troupes. Les appartements prévus pour le logement de remplacement ont été explicitement choisis parmi les maisons précédemment occupées par les Juifs et les Britanniques, sans prévoir aucune compensation ni possibilité de récupérer les meubles. Cette recherche sur les réquisitions allemandes ouvre donc de nombreuses autres questions et perspectives pour de futures études, sur la ville, sur la relation entre propriétaires et locataires et sur l’antisémitisme.

Giorgia Castellan a réalisé un master en Scienze Storiche sous la codirection d’Isabelle Backouche (EHESS) et Bruno Bonomo (Sapienza, Università di Roma) : Prendere casa nella Parigi occupata. Le requisizioni tedesche di alloggi in un quartiere di lusso: Neuilly-sur-Seine, 1940-1944.
Contact : giorgia.castellan98@gmail.com