Chantiers

La persécution des Juifs à Riga, 1941-1944

Eric Le Bourhis

Au croisement entre histoire urbaine et histoire de la persécution, l’enquête met à jour des pans de la persécution peu documentés : la survie et les proximités entre Juifs et non-Juifs pendant les premiers mois de l’occupation en 1941, la traque à partir de 1942 des Juifs cachés ou jusque-là épargnés, le travail forcé dans le centre de la ville jusqu’en 1943 et la réintégration des survivants (environ 20 % de la communauté) dans la vie sociale et dans leur appartement en 1944-1946.

Deux principes guident et permettent cette recherche : un angle d’approche par le logement qui conduit à examiner à différentes échelles la place matérielle des Juifs dans la ville dans une chronologie élargie des années 1930 à la fin des années 1940 ; le croisement des archives produites par les instances spécialisées dans la persécution avec les dossiers d’instruction de procès de criminels après la guerre, les témoignages de survivants et les archives produites par des administrations ordinaires (mairie de Riga, tribunaux civils, police locale…).

Illustration : Archives historiques d’Etat de Lettonie.

Une rue parisienne et ses habitants (1936-1948)

Sarah Gensburger

Ce projet s’inscrit au croisement d’une sociologie du rapport à l’événement historique et une micro-histoire de la Shoah et, plus largement, de la Seconde Guerre mondiale. Croisant archives produites par des institutions ordinaires de la vie parisienne et celles produites par la persécution raciale, il s’agit de retracer les interactions quotidiennes au sein d’une rue de Paris pour comprendre les trajectoires de survie comme de déportation mais aussi, plus largement, ce qui change à l’échelle de la rue pour les Juifs comme les non-Juifs et la manière dont les habitants y réagissent et s’y adaptent.

Illustration : Fichier immobilier, Archives de Paris, 3966W

Géographies des témoignages : Paris et la Shoah

Maël Le Noc et Sarah Gensburger

Bien que Paris ait été le principal lieu d’arrestation en Europe de l’Est pendant la Shoah, la ville est rarement représentée comme un lieu majeur de l’extermination des Juifs. En accord avec l’image de Paris comme capitale des arts, la plupart des films et des romans traitant de la Shoah dans la ville ont principalement présenté Paris comme le décor de la spoliation par les Nazis d’œuvres d’art appartenant à des collectionneurs juifs. Cependant, plus de la moitié des 76 000 Juifs déportés de depuis la France, principalement des immigrés au statut économique modeste, vivaient à Paris en 1940 et furent arrêtées dans les rues de la ville. Afin d’adresser ce décalage, et croisant géographie, micro-histoire et études mémorielles, ce projet se concentre sur la question suivante : dans quelle mesure l’espace et ses représentations constituent ils des cadres sociaux de la mémoire ? Pour y répondre, nous étudions les spatialités de près de 1200 témoignages conservés par la Shoah Foundation par des Juifs qui vivaient à Paris au début de l’Occupation. Premièrement, nous cartographions la localisation des témoins que nous comparons avec d’autres données relative à la persécution des Juifs à Paris et à sa mémorialisation. Cette approche nous permet d’étudier les manières dont les processus de témoignage façonnent l’espace. Nous mobilisons également une approche qualitative pour comprendre le rôle de l’espace dans la narration du passé, permettant ainsi l’étude de la manière dont l’espace façonne les processus de témoignage.

Illustration : Localisation de témoignages dans le 3e arrondissement de Paris.

Une approche spatiale de l’après-Shoah à Paris : le cas des quartiers Arts-et-Métiers et Enfants-Rouges, 1944-1946 

Maël Le Noc

Ce projet de recherche, situé au croisement de la géographie et de l’histoire, propose d’étudier la (ré)habitation de l’espace urbain parisien par les populations juives après l’arrêt des persécutions, la cohabitation avec les habitants non-juifs, ainsi que le retour chez eux, dans leurs quartiers et leurs logements, des familles juives qui reviennent. Les recherches s’articulent autour des questionnements initiaux suivants : De quelle manière l’espace urbain a-t-il été marqué et transformé de manière durable par la persécution raciale ? Comment les familles juives se réapproprient-elles et réhabitent-elles leurs espaces de vie quotidiens en ville après la Shoah ? Comment les populations juives et non-juives (re)cohabitent-elle alors ? Une étude résolument empirique reposant à la fois sur des approches qualitatives et quantitatives est conduite sur la base de sources archivistiques et de témoignages.

L’étude s’organise autour de trois axes, traitant chacun d’un aspect différent des interactions entre espace urbain et populations juives. Le premier axe porte sur la démographie de la population juive de l’espace étudié à la libération. Le second porte sur les rapports des Juifs à l’espace urbain après l’arrêt des persécutions. Le troisième axe du projet se concentre sur les relations et interactions sociales qui prennent place au sein des quartiers étudiés

Illustration : 161-163 Rue du Temple, Août 1945, Direction urbanistique de la ville de Paris

Spoliation des Juifs et relogement des sinistrés : une politique sociale négative de la préfecture de la Seine, 1942-1946

Isabelle Backouche, Sarah Gensburger et Eric Le Bourhis

Un goût particulier pour les archives et la découverte d’un angle mort des études sur le destin des Juifs en région parisienne pendant l’occupation, ont déclenché notre enquête sur le logement locatif. C’est en cherchant à identifier des solutions de relogement pour les expulsés de l’îlot insalubre n° 16 qu’un fonds jusque-là non exploité a été identifié aux archives de Paris : les dossiers de réaffectation, sous l’égide de la préfecture de la Seine, de plus de 9 000 « locaux israélites » (sic) à de nouveaux locataires non-juifs en 1943-1944. L’enquête s’attache à mettre en valeur les ressorts de cette politique locale de spoliation, les différents acteurs impliqués et les trajectoires des familles juives privées de logement au-delà de la Libération. Absence et retour sont scrutés à partir du logement, manière d’inscrire l’analyse de la persécution dans l’espace et de réévaluer l’importance du lieu de vie pour les Juifs parisiens.

Illustration : Archives de Paris, 133 W

Réquisition de logements et spoliation des Juifs: recouvrement et autonomisation de procédures (Paris, 1940-1946) 

Isabelle Backouche et Eric Le Bourhis

L’enquête interroge l’usage de la catégorie fourre-tout de « réquisition » par des acteurs français et allemands dans la dépossession (provisoire ou définitive) des logements des Parisiens (juifs et non-juifs) à partir de 1940. Les requalifications successives au gré de l’évolution des nombreuses procédures de dépossession, puis la restitution et les choix archivistiques ont entretenu une confusion entre les termes de « réquisition / Beschlagnahme » (employés par les acteurs pour qualifier la dépossession) et de spoliation (employé rétrospectivement pour qualifier l’aliénation des biens des Juifs). Cette confusion a notamment contribué à invisibiliser la spoliation des Juifs dans les fonds d’archives labellisés « réquisitions ». L’enquête entreprend de démêler l’intrication et l’autonomisation des différentes procédures de dépossession, et la qualification de la spoliation des Juifs au fur et à mesure de sa mise en place et après la Libération. À partir de nombreux fonds d’archives, conservés aux Archives départementales de Paris, aux Archives nationales (françaises), aux archives fédérales allemandes militaires et dans des archives municipales, il s’agit ici de comprendre comment les logiques d’acteurs successives se sont articulées au fil des mois, et comment ceux-ci ont travaillé à partir de la catégorie de réquisition, seule disponible mais fortement rigidifiée par des textes juridiques.

Illustration : Archives de Paris, 6096/70/1, carton 657

La ville sans ghetto : Espace et persécution dans Paris occupé

Shannon Fogg

Cette recherche porte sur la géographie de la Shoah à Paris, qui reste un espace sous-investi par les études sur la Shoah, bien qu’il s’agisse de la plus grande ville Européenne occupée par les Allemands pendant la Seconde Guerre Mondiale. Par le biais d’une approche multi-scalaire centrée sur les logements privés, j’examine les processus d’exclusions au sein de la ville sous des perspectives sociales et matérielles. En me basant sur plus de 6000 demandes de restitutions effectuées après la guerre, je montre que la configuration des processus d’expropriation diffère en partie de celles des processus d’arrestation et de déportation, ce qui révèle la profondeur et l’étendue de la persécution dans la ville, même en l’absence de ghettos.

Examiner l’espace physique en conjonction avec les expériences individuelles est essentiel pour comprendre le déroulement de la Shoah en France. Empruntant des concepts à la géographie, à l’histoire urbaine, à l’histoire sociale, et aux memory studies, ce projet mets en exergue l’importance d’étudier la question du logement au delà de la ghettoïsation comme processus descendant ou comme espace physique distinct. A Paris, la persécution était dispersée dans l’espace, facilitée par l’administration Française et les citoyens ordinaires, tout en restant généralement centrée autour des logements. Le processus de récupération de ces logements était lui aussi spatialisé, faisant d’avantage ressortir le rôle de la géographie pour la compréhension de la Shoah.

Illustration : “Appartements pillés et adresses des déportés, 17e arrondissement”, carte réalisée par Shannon Fogg